Le corps n'est pas seulement et purement matière physique, il est parti constitutive de la personne. Aujourd'hui toutes les sciences, même si elles le font de façons différentes, soulignent la réalité du corps dans ses multiples valeurs, qui constituent un espace privilégié et nécessaire:
• Pour l'émergence des besoins individuels, physiques et psychiques;
• Pour l'émergence des besoins individuels, physiques et psychiques;
• Pour l'expression des besoins psychiques;
• Comme fondement de l'organisation motrice, cognitive, affective, relationnelle et comportementale;
• Comme médiateur de la communication primaire;
• Comme base de la personnalité dans son ensemble;
• Comme régulateur des comportements individuels et sociaux.
Les besoins de l' individu ne sont jamais seulement physiques. Les besoins corporels physiologiques se répercutent sur le psychisme, automatiquement, parce qu'ils s'expriment et trouvent des réponses au sein d'une relation humaine fondée sur le désir, l'émotion et le respect de la dynamique évolutive et adaptative du processus dépendance/autonomie. L'ancien débat inné/acquis n'est plus d'actualité aujourd'hui. Il est remplacé par:
• Soit l'hypothèse psycho-affective sur le rôle de l' expérience, du vécu et de la relation dans la construction et l'organisation des fonctions corporelles et cognitives, dans laquelle le rapport du sujet à soi-même et aux autres est fondamental;
• Soit la prise en compte des facteurs organiques, non plus vus d'une manière irréductible mais au contraire plastique grâce à une compréhension du cerveau constamment remodelé par l'expérience et les apprentissages.
Nous sommes donc maintenant dans une position plus équilibrée qui considère la présence d'un terrain prédéterminé sur lequel vont s'inscrire peu à peu, dans des périodes dites "sensibles" et non plus dans des "stades" rigides, l'expérience, le vécu et l'apprentissage au travers des émotions, des relations affectives et des exercices. Les récentes recherches sur le développement infantile soulignent l'importance de la relation mère-enfant. Les échanges interactifs constituent le prototype de chaque relation et apprentissage et favorisent le développement de toutes les compétences psychomotrices, non seulement sociales - comme on le croyait jusqu'à récemment - mais aussi praxiques, cognitives et linguistiques. Ces recherches soulignent en particulier la présence d'un noyau central, ce que la psychomotricité a toujours dit et anticipé dans son discours théorique et pratique. A la naissance, l'enfant a une prédisposition innée au comportement social et à l' apprentissage qui peut être:
• Structurelle grâce à la présence de mécanismes endogènes par lesquels s'établit une relation avec la personne de soin, comme par exemple l'appétence pour la succion;
• Fonctionnelle par la présence d'un comportement spontané et actif, préprogrammé selon une organisation rythmique endogène qui vient moduler les événements externes, comme par exemple l'organisation temporelle des rythmes de succion de la part de la mère.
Dans les théories sur l' intersubjectivité (Trevarthen, 1998) l'expérience de l'allaitement est considérée comme une communication à double sens qui va se construire graduellement: la mère réalise une série de gestes et activités qui constituent un cadre dans lequel l'enfant se développe; et l'enfant, grâce à la disponibilité de son cerveau, évolue progressivement d'un état de passivité apparente vers un rôle toujours plus actif dans la relation. Dans cette optique, l'allaitement est considéré comme l'expérience primaire dans laquelle s'organise le dialogue tonique, par le rythme activité/pause qui le caractérise et qui est à la base de tous les apprentissages et communications postérieurs. On pourrait également parler d'un dialogue tonique, qui ne reste pas exclusivement inscrit dans la relation intersubjective mais qui s'étend également au rapport corps-cerveau, à l'intérieur duquel ces deux éléments se modèlent réciproquement.
L'affectivité : nouvel intérêt
Chacun a l'intuition, de façon générale et vague, que notre esprit est le produit du cerveau mais il est difficile de mesurer cette relation. Cependant si l'on accepte l'idée abstraite d'une connexion corps-esprit, cerveau-esprit, dans la pratique, au-delà de l'idée platonique, on accepte le fait que l'esprit est le produit du corps à partir des premières tentatives de la neurologie corticale d'y trouver une explication, depuis la localisation de l' homonculus moteur jusqu'aux études actuelles. Dans les recherches récentes, l'intérêt majeur porte sur les émotions qui, depuis quelques dix ans seulement, sont devenues objet d'études pour les disciplines scientifiques - comme la psychologie et la psychiatrie - alors qu'elles n'étaient historiquement que matière spéculative des sciences humaines. En particulier, la philosophie et la philosophie de la science ont théorisé sur les implications des émotions dans la pensée et sur l'explication des rapports corps-esprit.
Les chercheurs des sciences psycho-neuro-biologiques ont également pendant longtemps considéré l'objet émotion comme un champ secondaire, dépourvu de spécificité ou d'importance, comme une matière non délimitable car indéterminée et donc non digne d' études expérimentales. La récupération des émotions dans le domaine scientifique de la part des disciplines qui s' occupent de santé et de troubles mentaux a débuté dès les années 1970. Dernièrement, les connaissances ont permis d'en découvrir la valeur et l'importance dans l'explication de nombreux phénomènes liés à la norme et à la psychopathologie du sujet dans son intégrité. Des études plus avancées en psychologie cognitive et psychiatrie psychodynamique se sont centrées sur les émotions à la suite des neurosciences, en permettant d'éclairer la structure des connexions cerveau-corps-esprit.
Les émotions, par rapport au sujet qui les vit comme en relation à l'environnement, sont de plus en plus reconnues en tant que matrice formative des structures cérébrales et des mécanismes régulateurs des fonctions mentales. Grâce à ces nouvelles connaissances se pose le problème de la réorganisation des secteurs scientifiques et disciplinaires et celui d'une branche spécialisée autonome sur le sujet. Cependant la diffusion et l'intérêt pour la psychologie des émotions ne sont pas encore justifiés par de réels résultats des expérimentations en cours. La vraie donnée scientifique qui oblige un changement d'attitude des sciences est l'abord de la complexité de l'approche intégrée à la personne comme l'a toujours fait la psychomotricité.
Il n'est pas facile de demander une collaboration pour des projets de recherche à des disciplines considérées comme très diverses et distantes - comme la psychanalyse et la neuroradiologie - et ne permettant pas, jusqu'à récemment, de faire l'hypothèse d'une convergence entre elles. Mais aujourd'hui nous allons vers un dialogue multidisciplinaire qui permet de dépasser le monisme philosophique sans tomber par opposition dans le monisme psychologique ou pire neurobiologique. Et ici la psychomotricité, dans sa théorie et dans sa pratique, tient un rôle central dans la mise en dialogue des différentes sciences.
Même une vision interactionniste du dualisme corps-esprit s'est démontrée non proposable car il n'est pas soutenable que deux réalités séparées concourent en parallèle à la détermination des émotions. En particulier - en se référant à l'histoire de la psychomotricité - on peut attirer l' attention sur la période dite du "parallélisme psychomoteur" de 1925 où, dans la théorie comme dans la pratique, la globalité de la personne restait seulement dans les intentions des chercheurs qui parlaient de psychomotricité sans être de réels psychomotriciens. Le dualisme platonique et cartésien doit être recomposé sur une nouvelle idée d'homme psychologique, mieux psycho-moteur. Cela a été fait par les psychomotriciens grâce à leur expérience directe sur le corps souffrant du sujet.
La recherche sur les émotions se fonde sur le présupposé que la psyché se configure comme unité interactive cerveau-esprit-corps et que l' événement émotionnel est strictement lié au corps et au substrat neuronal. Et ici la psychomotricité a beaucoup de choses à dire et à apporter. D'où l'importance - on l'a déjà dit mais on le répète - des processus émotionnels de la relation dyadique, dès les premières phases de la vie, pour la maturation du cerveau et le développement des systèmes de régulation des événements internes et externes au sujet.
La santé émotionnelle, dans un processus évolutif dépendance/initiative, tient un rôle décisif dans le devenir de la personnalité. La chaîne émotionnelle stimulus - activation - émotion - pensée - corn - portement est mieux expliquée aujourd'hui en tant que système unitaire de parties interactives qui permettent une expérience significative et plus ou moins consciente. Dans cette ligne d'actions et de conditionnements, il n'existe plus de point de séparation entre le fonctionnement émotionnel et le fonctionnement psychopathologique. A une extrémité de la ligne, il y a la santé émotionnelle et à l'autre, le désordre. Cette linéarité et ses fluctuations permettent de définir le malaise comme une qualité de l'expérience qui implique les émotions, les sentiments et les pensées dans la recherche des alternatives possibles pour l'augmentation du bien-être. Cette expérience peut-être déterminée par des situations internes et externes qui sont caractérisées par une charge émotionnelle. Quand les expériences émotionnelles sont élevées et prolongées, elles peuvent devenir un stress et, face à des réponses non adéquates, une vulnérabilité va se déterminer. Des éléments de difficulté, tels que l' insécurité, l'indécision, l' incapacité, l'impulsivité, l'inhibition ou la maladresse peuvent alors être relevés et mesurés. C'est ce qui permet de construire les indicateurs précoces d'un trouble émotionnel (Trevarthen, 1998; Lavelli, 2007).
Va alors s'ouvrir un espace de recherche pour définir les indicateurs précoces d'une possible altération psychopathologique afin d'intervenir pour promouvoir la santé émotionnelle et prévenir les troubles mentaux. Plus que de prévenir des troubles, il s'agit de promouvoir les émotions, dont les conséquences sur la santé sont plus extensibles et durables, par une vraie politique de santé publique. Un programme finalisé de développement ou de renforcement des capacités de reconnaissance et d'évaluation de ses propres émotions et de celles des autres, d'association des émotions aux autres expériences, de renforcement des pensées, d'analyse des émotions en rapport au contexte social, de reconnaissance, gestion et réglage de ses propres émotions en relations aux autres. Il s'agit de fournir aux personnes les connaissances et les instruments leur permettant de prendre soin de leur propre santé.
Les études récentes (Feldmeyer, 2002; De Plata, 2006; Goldberg, 2007) sur les dysfonctionnements de la chaîne émotionnelle confirment que ces troubles se manifestent sans conscience ni contrôle. La genèse des troubles se trouverait dans la persistance ou l'excès d'émotions, dans l'absence, limite ou conflictualité entre des émotions fortes; autant d'éléments qui se manifestent dans le corps et pour lesquels la psychomotricité a des choses à dire dans l'évaluation et dans la prise en charge. Les techniques modernes de neuro-radiologie permettent de comprendre les voies de connexion des centres nerveux gérant les émotions et donc de différencier le diagnostic pour faire un choix thérapeutique plus précis. Ces avancés mettent en crise les systèmes de classification actuels. Dans cette perspective, les émotions se présentent comme un nouveau paradigme, grâce notamment aux contributions de la psychomotricité, en soutenant le dialogue interdisciplinaire et interprofessionnel.
La santé psychique
Comme les sciences qui évoluent, l'idée même de santé de la personne est en cours de redéfinition sur des critères non plus unilatéraux ou idéaux mais exclusivement scientifiques et étroitement pratiques. Santés émotionnelle et mentale font aujourd'hui partie constitutive de la santé en général, considérée comme un état de bien-être résultant des facteurs physiques, intellectuels, psychologiques, sociaux, spirituels et du milieu (OMS, 1948 et 1999). Plus précisément, en synthétisant les idées plus récentes, la santé émotionnelle peut être définie comme: la capacité à exprimer, accepter et contrôler ses propres sentiments et états affectifs, et en même temps d'être reconnu par les autres. En complément, la santé mentale va être considérée comme condition du bien-être cognitif et émotif permettant au sujet de développer une activité professionnelle, d'aimer, d' instaurer des relations et de résoudre conflits et problèmes. Le concept de santé a été fréquemment, et est parfois encore aujourd'hui, considéré comme "l'absence de souffrance, de maladie ou de trouble et non pas comme la présence d'un bien-être plus général" (OMS, 1999). Et les aspects psychologiques, en particulier cognitifs et émotionnels, ne sont pas toujours considérés de manières adéquates et développés dans les recherches. D'autre part, on ne peut pas parler de santé psychique si l'on néglige le corps. Ainsi de nouvelles disciplines - psychiatrie de communauté, psychologie clinique, neurosciences - soulignent l'importance et l'intégration de plusieurs facteurs: biologiques, psychologiques, sociaux, du milieu. Dans ce contexte, la santé ne peut pas être définie par négation, comme absence de malaise ou de trouble, mais plutôt comme proposition centrée sur la relation cerveau - psyché - corps - environnement. Pour synthétiser, la santé émotionnelle est un phénomène mental complexe qui se manifeste sur trois niveaux:
• Psychique : les expériences;
• Physique : le physiologique;
• Social : les aspects expressif, comportemental et relationnel.
La théorie de "l'intelligence émotionnelle" diffusée par Goleman (1996) est le résultat de récentes recherches neuropsychologiques qui ont permis d'approfondir le rapport entre le rationnel et l'émotionnel. Notre cerveau est un organe capable de répondre aux stimulations internes et externes. Par conséquent la façon de vivre nos affects détermine des modifications physiologiques qui peuvent influencer la durée et l'intensité de l'activation des aires cérébrales dévolues aux vécus émotionnels. On sait que les capacités individuelles de l'intelligence émotionnelle (Goleman) - conscience émotive, contrôle, capacité à se motiver, empathie et gestion des relations interpersonnelles - produisent des effets sur la perception de la qualité de vie quotidienne. Une difficulté dans une de ces compétences émotionnelles peut influencer des réalisations motrices, cognitives, comportementales ou relationnelles. Rien de nouveau ici pour la psychomotricité !
Cette approche intégrée souligne aussi le rôle central des premières expériences de relation objectale dans l'enfance, qui sont déterminantes dans la maturation émotionnelle et cognitive. En particulier, la psychiatrie psychodynamique, la psychologie cognitive et les neurosciences considèrent deux points comme fondamentaux pour la structuration d'une communication positive:
• Les caractéristiques de la personne qui, en favorisant le lien d'attachement et la maturation de l'enfant, activent et structurent une expérience dynamique de dépendance orientée vers l'autonomie;
• Le milieu comme élément contenant et en même temps contribuant à la constitution des connaissances et des relations sociales.
Ces deux facteurs seront déterminants dans le développement du cerveau dans les premières années comme le confirment les techniques d' imagerie cérébrale. Les premières expériences émotionnelles constituent la trace, la mémoire, du développement à venir pour trois aspects qui régulent l'interaction:
• La constitution du lien corporel par les expériences de plaisir, d'intérêt et de dialogue tonique;
• Les moments de séparation qui vont déterminer les frustrations et désaccords;
• La rencontre à nouveau où vont s'intégrer émotions négatives et positives.
La convergence de nombreux travaux de disciplines complémentaires permet de considérer le cerveau comme un système unitaire où cerveau, psyché et corps s' autorégulent pour permettre un développement correct. Dans cette optique, les aspects relationnels, surtout dans les premières années de la vie, modèlent la maturation du cerveau et forment une régulation interactive qui module les dynamiques interpersonnelles, dont représentation et mémoire constituent des modèles opératifs pour régler d'une manière adaptative les émotions dans les phases successives de la vie.
On peut alors parler de vulnérabilité émotionnelle en rapport aux conditions de vie et aux expériences. La vulnérabilité se caractérise par trois aspects:
• Une sensibilité élevée aux stimuli émotionnels;
• L'intensité de l'émotion provoquée;
• La lenteur du retour à l'état émotionnel de base.
Toute émotion s' origine, se développe, se manifeste et trouve une réponse dans le corps, là où le psychomotricien détient une compétence évaluative et de prise en charge spécifique. Aucune recherche sur la psyché de l'homme aujourd'hui ne peut nier l'aspect émotionnel. Nous devons donc définir les indicateurs précoces d'une possible altération psychopathologique afin d' intervenir dans les moments de plasticité cérébrale majeure.
L'espace de la psychomotricité
A partir de 1907, tout d'abord comme concept puis comme discipline, science et profession, la psychomotricité a dépassé le dualisme corps - esprit. La psychomotricité a été la première à valoriser l'émotion en essayant de la considérer dans son rapport à l'intelligence, au langage et au comportement, au travers de l'expression corporelle. Cette recherche a amené à construire une théorie psychomotrice propre, basée sur les apports des sciences médicales et psychosociales. En particulier grâce a des méthodologies d'écoute et d'observation spécifiques, la psychomotricité étudie avec précision les désordres qualitatifs des fonctions corporelles dans leur dimension d'expression psychique, affective et/ou communicationnelle, et cela indépendamment des éventuels troubles organiques. La démarche psychomotrice est par conséquent une compréhension plurifactorielle de la personnalité. Comme les autres champs scientifiques, la psychomotricité a subi cette influence du débat inné/acquis, penchant alors, selon les moments de l'histoire scientifique, politique et institutionnelle, plus vers des thèses organiques et instrumentales ou vers des explications psychologiques et interprétatives. Balancements qui ont parfois ralenti la reconnaissance de la profession dans le monde. Mais pourtant la psychomotricité a toujours orienté son intérêt, à partir d'une conception initiale neurologique-réhabilitative, vers une compréhension psychiatrique et relationnelle. Jasper est très clair quand il considère les désordres moteurs comme des "altérations de la personnalité" (1933, p. 197). Il fait alors une nouvelle hypothèse causale pour certains troubles psychiatriques à partir du "moment où, dans les troubles moteurs, nous aurons séparé d'un coté ceux d'origine purement neurologique et de l'autre coté ceux à origine purement psychique ... " (Ibid., p. 190-191). On retrouve la même idée chez Baruk (1947, cité par Corraze, 1999) quand il considère la catatonie comme un trouble "psychomoteur" et non pas "purement moteur''. I.:' évolution historique explique bien l'essence de la psychomotricité qui, pour être elle-même, doit se baser sur les connaissances biologiques, en particulier de neuropsychologie et de psychiatrie, et, en même temps sur la psychologie et la psychodynamique. Il faut souligner un autre aspect en rapport à l'idée de globalité psychomotrice. La théorie et l'application de la psychomotricité résument les apports de disciplines diverses et représentent une photographie du fonctionnement des deux hémisphères cérébraux qui, dans leur ensemble, sont l'expression d'un sujet psychomoteur avec un corps qui les intègre et qui se propose comme médiateur entre les deux, ainsi qu'entre les monde interne et externe:
• Un cerveau droit qui s'intéresse aux affects, au langage non verbal, à la mémoire corporelle, à l'expérience corporelle et visuo-spatiale;
• Un cerveau gauche qui élabore plus profondément les expériences par la logique, l' abstraction et le langage dans une réalité dynamique temporelle.
La psychomotricité a toujours considéré la globalité de l'individu. Actuellement, il semble bien que de nombreuses avancées sciences confirment la validité de ce point de vue. Cela signifie-t-il alors la fin de la psychomotricité ou son assimilation dans une des autres sciences ? La psychomotricité fait-elle partie de la médecine ou de la psychologie ? Où se situe-t-elle ? La psychomotricité soutient que le fonctionnement du système nerveux est global dans le processus d'intégration: sensation - émotion - action - représentation. Elle tient compte aussi des rapports du sujet avec lui même et les autres.
C'est pourquoi la psychomotricité n'est pas seulement du domaine de la médecine qui se base sur un modèle causaliste; ni seulement du domaine de la psychologie. Elle se développe dans l'espace où se termine la médecine et où s'initie la psychologie, au point de rencontre entre ces deux disciplines, dans un espace transitionnel et dans un équilibre dynamique qui tient compte des apports de l'une et de l' autre.
Cette histoire clinique illustrera ce propos.
Andrea a 11 ans. Selon le modèle médical elle présente une grave immaturité cérébrale entraînant dysphasie, dyspraxie, dysgraphie et retard scolaire. D'après ce diagnostic les apprentissages seront toujours limités. D'autre part, selon le modèle psychologique, les faibles résultats scolaires sont liés à sa déficience mentale moyenne. Suivie dès l'âge 4 ans en psychomotricité, nous avons toujours cru en ses possibilités, qu'elle a su bien exprimer dans différents apprentissages. Dernièrement, afin de soutenir la réaction dépressive de ses parents face à un diagnostic et un pronostic négatifs formulés à l'hôpital, nous avons décidé de choisir un test non verbal (le CMMS), pour évaluer ses compétences intellectuelles réelles et potentielles. En respectant le protocole du test, son QI était de 59,9 mais si on lui laissait du temps pour réfléchir et se corriger, et en valorisant ses réussites, son QI montait à 87,7. Le cas est très significatif pour bien expliquer que l'espace entre les deux QI correspond au potentiel du sujet, que la psychomotricité favorise de manière spécifique.
Le problème du diagnostic psychomoteur
Cette vignette clinique illustre la nécessité de définir le sens et l'espace du diagnostic en psychomotricité.
Si le corps du sujet en relation est l'objet de l'intérêt de la psychomotricité, il faut remarquer qu'il est aussi l'élément constitutif du lien entre la médecine et la psychologie, entre l'objectivité et la subjectivité. Par son corps, l'individu exprime ses compétences fonctionnelles, expressives et relationnelles: ce qui dépasse la fonction, ce qui dépasse l'esprit pur pour être du corps médiateur de la relation du sujet au monde. Ainsi, on peut réfléchir autrement sur les critères de normalité (Saint-Cast, 2003; Boscaini, 2005), pour aborder la personne dans son ensemble, en vue de son bien-être. Dans les expressions psychomotrices, troublées ou non, la distinction entre ce qui est normal et ce qui est pathologique n'est souvent pas nette. Nos instruments d'évaluation doivent donc être à la fois objectifs et subjectifs (Boscaini, 2005), capables de révéler les compétences réelles et potentielles, ce qui est du registre de l'organique et ce qui est du registre du relationnel.
D'où le problème de la définition des troubles psychomoteurs, de critères à la fois quantitatifs et qualitatifs qui permettent d'évaluer le sens d'un malaise psychique au niveau corporel. Nous devons prendre en compte les symptômes en tant qu' entités mesurables et objectivables autant que les signes caractéristiques de la personne, avec ses valeurs personnelles, en fonction de sa vulnérabilité à des conditions déterminées par un milieu plus ou moins favorable. Les indicateurs psychomoteurs représentent alors, et parfois anticipent, une altération possible de l'activation et de la régulation des émotions. Dans ce sens, l'indicateur psychomoteur rend possible la mesure de variables rendant compte du fonctionnement du système de régulation des émotions, chez un sujet en relation avec les autres. Il aide à repérer les domaines où le malaise se développe et permet d'envisager le processus thérapeutique.
Problèmes posés par la classification
Les émotions, outre le fait qu'elles interfèrent sur l'efficacité et la qualité des prestations, influencent aussi les activités cognitives, les comportements et les relations humaines. On sait qu'un niveau excessif d'agressivité chez les enfants va entrainer des réponses agressives ou, qu'au contraire, celles-ci auront tendance à être évitées, réfutées, éloignées. S'il y a un comportement agressif et/ou une inhibition exagérée, l'enfant aura des difficultés à s'intégrer dans un groupe, se retrouvera socialement isolé. Donc l'agressivité et l'inhibition précoces peuvent être des indicateurs de troubles de la communication et du comportement. Une image pauvre de soi est également un indicateur précoce de troubles de la personnalité. Il faut aussi considérer que les émotions les plus fréquemment vécues deviennent une modalité de réponse habituelle qui s'étend sur tous les activités et situations.
La classification des troubles psychomoteurs est difficile à élaborer parce que ces troubles entraînent des discordances entre les diverses compétences du sujet, ce qui rend la situation clinique psychomotrice non homogène, non harmonieuse et surtout non prévisible. De plus, on se trouve souvent face à un potentiel normal mais dont le rendement est sub-normal. Dans d'autres travaux ce problème de la classification a déjà été abordé (Boscaini, 2006; 2005; 2004). A la suite de ces propositions de pistes de réflexion, je reviens ici sur les troubles émotionnels en les différenciant, sur le plan corporel, en deux grandes catégories:
1. Les troubles émotionnels extériorisés, pour lesquels le malaise se manifeste surtout vers l'extérieur. Ils sont caractérisés par la tendance à exiger l'immédiate satisfaction des besoins propres, avant ceux des autres. On retrouve alors fréquemment le recours à l'agressivité, à l'opposition, à l' hyperactivité, à l'expressivité corporelle exagérée ou encore des désordres spatio-temporels et du rythme, des troubles graphiques, une variabilité tonique, de l'insomnie, des transgressions, des troubles de la conduite ...
2. Les troubles émotionnels intériorisés, caractérisés par un malaise vécu de l'intérieur, une souffrance souvent non perçue par les autres. Il s'agit de l'inhibition, des états tensionnels, paratonies, maladresses, troubles de la relation corporelle, utilisation limitée des objets et de l'espace, de l'anxiété, de l' angoisse, de la dépression ...
Entre ces deux grandes catégories, on peut rencontrer diverses situations cliniques.
Une classification qualitative et pluridimensionnelle nous permettra de décrire comment le sujet s'exprime et réalise ses potentialités en fonction de:
• La dynamique du développement;
• Les compétences spécifiques réelles;
• Les modalités expressives et relationnelles, le style psychomoteur;
• Le côté inconscient de la personnalité;
• La plasticité cérébrale face à un environnement dynamisant.
Le modèle psychomoteur vise à décrire la qualité motrice, le mouvement expressif de la vie émotionnelle, le corps en relation. Il allie différentes théories de référence (Boscaini, 2005):
• Le modèle neurologique classique;
• Le modèle neurologique mineur;
• Le modèle neuropsychologique;
• Le modèle psychologique;
• Le modèle psychodynamique.
Nécessité d'une sémiologie psychomotrice dynamique
Une sémiologie spécifique à la psychomotricité apparaît nécessaire non pour figer la clinique mais pour l'analyser de manière détaillée et formuler des indications thérapeutiques précises et argumentées. Actuellement, la sémiologie s' articule principalement autour de la notion de trouble, terme qui a progressivement englobé et remplacé celui de signe - désigné comme tel par le clinicien - et de symptôme - décrit par le patient. La nosologie tente habituellement d'organiser les signes et les symptômes en entités cohérentes et repérables avec une attitude descriptive qui tend à fixer le tableau. L'indication en psychomotricité et/ou en relaxation est-elle liée à la demande du consultant, en relation aux symptômes apportés par le patient ou ses parents ? Est-elle liée à la structure psychopathologique ?
La clinique psychomotrice est simple et complexe en même temps (Boscaini, 2005), si l'on se réfère aux phénomènes psychocorporels et à leur organisation particulière dans un moment déterminé de la vie du sujet, en rapport à son environnement actuel. La psychomotricité, en tant que thérapie souple et évolutive, agit sur différents niveaux de l'organisation du sujet, seule ou combinée à d'autres modalités de prise en charge - psychothérapie, rééducation, soutien familial, traitements médicamenteux, etc. - en individuel ou en groupe. Elle prend en considération le caractère évolutif des signes et des troubles observés, expression d'un cerveau en évolution et potentiellement adaptable comme d'un milieu jamais fixe qui demande toujours aussi une attitude plastique de la part du psychomotricien. La plasticité est le propre du cerveau, le propre du patient toujours en évolution, le propre de la psyché du professionnel et, enfin, le propre du milieu en évolution constante. Le patient est toujours en équilibre et à la recherche d'un nouvel équilibre, ce qui demande au professionnel la capacité d'accepter les surprises et les débordements nécessaires à toute évolution.
Le problème du vocabulaire
Pour créer une homogénéité de langage entre les psychomotriciens et pour bien différencier les contenus propres à la psychomotricité de ceux des autres disciplines, il est nécessaire de rédiger un glossaire commun. Actuellement une commission de l' OIPR - Organisation Internationale de Psychomotricité et de Relaxation - rédige ce vocabulaire de la psychomotricité1
Voici les 10 premiers termes retenus par les professionnels:
Le premier constat que l' on peut faire est l'importance accordée au domaine du corps en relation, et tout particulièrement la fonction tonique qui, en psychomotricité, est considérée comme le fondement de l' identité du sujet et un moyen primordial de communiquer et de s' adapter. Ces dix mots précisent l'espace de la clinique psychomotrice, diagnostic et prise en charge, dont le critère principal de référence est le développement psychomoteur. Ils mettent en évidence la dynamique de l' approche psychomotrice (voir encadré).
Du diagnostic psychomoteur à l'indication thérapeutique
La question des indications est nécessairement liée à la thérapeutique. La psychomotricité et la relaxation s'inscrivent dans une perspective de soins, de soulagement et d'amélioration des problématiques limitantes et des souffrances. Si l'indication en psychomotricité doit être posée par une ordonnance, une prescription, sa dimension qualitative renvoie à une expérience souhaitable pour le sujet, possible et non obligatoire, impliquant une réflexion sur la demande et la motivation du patient et/ou de l'institution.
La clinique psychomotrice croit à plusieurs plasticités. Outre la plasticité cérébrale, nous devons considérer la plasticité de l'environnement, la plasticité des attitudes et de l'écoute et la plasticité des réponses. Les troubles psychomoteurs constituent un désordre d'utilisation de la motricité dans la relation à soi et à l'autre.
Actuellement nous pouvons nous interroger sur la prévalence des hyperactivités et des dyspraxies (Bergès-Bounes et col., 2008). On connait les controverses sur leur étiologie: symptôme ou syndrome, origine organique ou psychoaffective? On se pose la question de la réponse thérapeutique: psychothérapie, réhabilitation ou médicaments? La présence de théories diverses, les changements de classifications et d'appellations soulignent la double polarité de la situation clinique. Est-ce parce que, comme le remarquaient déjà Wallon, Ajuriaguerra (Ibid.) puis Bergès (2008), ces pathologies se situeraient sur un continuum entre facteurs biologiques et psychiques, émotionnels et d'environnement ? Dans cet espace où va se s'organiser le dialogue tonique qui fonde l'organisation motrice.
Où se situent alors la dyspraxie et l' hyperactivité ? Si le tonus et la motricité sont les premiers médiateurs pour accéder à la relation à soi et à l'autre, les troubles psychomoteurs se caractérisent par une situation de déséquilibre dans cette relation corps/environnement, biologique/psychisme, moi/autre. Il est très probable que la genèse de ces troubles se trouve dans l'espace de transition entre le biologique et le milieu, qui vont tous deux s' influencer et se modeler réciproquement. L'expression psychomotrice n'est donc pas purement biologique ni uniquement le fruit de la psychologie. La dyspraxie et l' hyperactivité sont les exemples les plus significatifs parce qu'ils représentent la réalité de la fluctuation clinique, de la fluctuation organique/psychologique, toujours présente, chez tous les individus.
Conclusion
Le diagnostic psychomoteur, outre le fait qu'il révèle la présence de troubles psycho-corporels et met en avant les ressources sur lesquelles baser les programmes de soutien, doit servir à repérer d'éventuelles difficultés de vie et de relation qui peuvent influencer négativement la santé mentale: expériences traumatiques, pertes d'objet affectif, discordance de communication, etc. L'adaptation constitue le critère fondamental lorsqu'on évalue l'état de la santé mentale. Il ne peut pas être séparé de la santé corporelle et relationnelle.
Corps, esprit, cerveau et relation sont quatre éléments essentiels au bien-être. L'harmonie psychomotrice est la capacité à contrôler les interactions entre les dimensions physiques, intellectuelles, psychologiques, affectives, communicatives et sociales, au cœur de chaque expérience.
Reconnaître une science des émotions comme une branche spécialisée, autonome, même si étroitement liée aux autres disciplines qui s' intéressent au psychisme, permettra à la psychomotricité d'être encore mieux reconnue, d'avancer dans la recherche, d'établir une classification propre, en évitant les compréhensions exclusivement organiques ou psychoaffectives. D'un point de vue historique, la psychomotricité est devenue une discipline et une profession en utilisant les apports des toutes les sciences humaines. C'est grâce à leurs patients que les psychomotriciens ont compris ce qu'est la psychomotricité. Maintenant, il est nécessaire que la psychomotricité devienne encore plus scientifique pour travailler avec les autres domaines en utilisant des concepts, des instruments, des méthodes propres.
POUR ILLUSTRATION du travail en cours, nous proposons ici la définition deux mots. Le lecteur pourra constater que chaque définition suit un schéma précis qui évoque tout d' abord l' apport théorique des disciplines médicales et psychologiques pour ensuite décrire les modalités de la pratique psychomotrice, évaluation et prise en charge.
Dialogue tonique
Modalité relationnelle particulière, non verbale, corporelle.C'est la première manière de communiquer de l'enfant. Dès les premiers échanges d'un bébé avec un adulte, une adaptation mutuelle se fait sur la base de l'ajustement du tonus musculaire. Cette modulation relationnelle est rythmée par l'alternance de tensions et de relâchements musculaires, pour échanger les émotions et les affects. Outre la ten - sion musculaire, il intègre divers signaux corporels: la voix, le regard, le toucher, la proxémie, les odeurs, la qualité du portage, l'organisation temporelle de la situation.
Ce que le jeune enfant ressent dans ces échanges est à la base de son sentiment de sécurité. C'est dans ces expériences que se structurent ses mame res de communiquer qui influenceront l'évolution de la communication verbale. La reconnaissance de l'autre, et donc de soi, se base aussi dans ces échanges corporels.
Tout au long de la vie, plus ou moins consciemment, toute rencontre avec un autre implique un dialogue tonique.
Spécifiquement, le psychomotricien s'attache à observer et utiliser ce canal de communication comme moyen thérapeutique essentiel pour favoriser l'expressivité de son patient, ce qui caractérise sa profession.
Bilan psychomoteur
Le bilan psychomoteur permet d'établir le profil du patient en considérant la diversité de ses fonctionnements neurologique, émotionnel, relationnel et cognitif, car le trouble psychomoteur n'est pas une expression univoque et stable d'une lésion ou d'un dysfonctionnement circonscrit.
Pour effectuer cet acte diagnostic indispensable à son intervention, le psychomotricien dispose de nombreuses méthodes d'évaluation: observation des conduites spontanées, grilles d' observation, protocoles d'épreuves non étalonnées, tests étalonnés, échelles de développement, questionnaires, analyses des productions du sujet ...
Le bilan psychomoteur est une étude sémiologique qui permet d'évaluer le niveau et l' étendue des compétences dans les différents registres psychomoteurs - motricité, tonus, conscience du corps, espace, temps - pour en établir une synthèse, prendre une décision thérapeutique et établir le projet d'intervention qui visera à l'épanouissement de l' ensemble des compétences exprimées et potentielles. Cette étude est croisée avec l'estimation de la situation, la prise en considération de la demande et du contexte, où le signe acquiert une éventuelle signification pathognomonique. Elle est complétée par la prise en considération de l'écart entre ce qui est vécu par le sujet (subjectivité) et ce qui est constatée de l' extérieur (objectivité).
En fonction du motif de consultation et du contexte, il pourra être complété par le psychomotricien par des épreuves de graphomotricité, logicomathématiques ou neuro-psychologiques.
Les conclusions sont transmises au patient, à sa famille s'il s' agit d'un enfant, ainsi qu'aux différents intervenants de l' équipe médico-sociale. La méthodologie du bilan psychomoteur est aussi utilisée pour évaluer l'évolution en cours ou en fin de traitement et réajuster le projet thérapeutique personnalisé.
1 Ce travail a commencé sur l'identification des mots considérés comme les plus significatifs par des psychomotriciens du monde entier. Un questionnaire écrit a permis à 349 psychomotriciens de sélectionner 50 termes sur les 100 proposés.
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